5 mois après le rapport Borloo qui a notamment dénoncé les retards du nouveau programme de renouvellement urbain, l’ANRU change de rythme, assouplit les règles et vise la signature de l’ensemble des projets NPNRU d’ici la fin de l’année. Un objectif de haut vol, qui n’est cependant pas sans poser quelques questions sur le terrain en phase de bouclage des dossiers, et des risques notamment en termes d’opérationnalité !
L’ambition de la nouvelle politique de la ville est de concevoir des projets de qualité, en phase avec les spécificités des territoires et capables de transformer profondément ces quartiers. Une ambition qui s’énonce dans les mots mêmes de Nicolas Grivel en 2015 : « notre objectif est double : donner aux habitants de ces quartiers envie d’y rester et à ceux qui n’y sont pas encore de s’y installer ». Elle s’est traduite par la mise en place d’un processus de contractualisation en deux temps : protocole de préfiguration et phase plus opérationnelle de définition du projet décliné dans la convention de renouvellement urbain.
Trois ans plus tard, l’avancement de cette contractualisation est très inégal, suscitant sur de nombreux territoires l’impatience des élus locaux alors que les échéances électorales se rapprochent à grands pas… Quasiment tous les protocoles sont signés, en revanche de nombreuses conventions sont toujours en cours d’élaboration.
L’opérationnalité qui a peu été travaillée en phase de préfiguration devient un enjeu plus marqué dans la phase actuelle de conventionnement avec le déploiement de nouvelles études urbaines qui a leur tour prennent du temps et cadencent la progression du projet à travers les études urbaines. Le champ d’intervention des différentes maîtrises d’ouvrage qui vont devoir s’engager financièrement se clarifie. On constate sans surprise que plus les projets s’affinent et se rapproche de l’instruction financière, plus les négociations entre les partenaires se tendent, et plus les porteurs de projet doivent tenir avec fermeté les ambitions. Il faut dire que le contexte particulièrement mouvant de l’année qui vient de s’écouler n’a pas aidé les acteurs à se positionner, notamment les bailleurs fortement impactés (évolution du cadre d’instruction de l’ANRU, réduction du loyer solidarité, loi ELAN…).
Alors qu’un cadre de travail partenarial fragile s’est timidement mis en place ces derniers mois, que les arbitrages sont encore sensibles dans un contexte qui se stabilise tout juste, l’ANRU sous le feu des projecteurs depuis le rapport Borloo, donne un coup d’accélérateur qui vient percuter le processus en cours. Il en ressort une injonction forte à contractualiser, au moins sur des « morceaux de projets » dits « prêts à partir », sans que la faisabilité opérationnelle des projets dans leur ensemble ne soit sécurisée. Or la clarification récente des engagements financiers de l’ANRU et de ses partenaires (doublement de l’enveloppe) ainsi que la simplification des règles de conventionnement ne devraient ni masquer ni minimiser le travail de sécurisation des projets, qui est aussi un attendu de l’Agence !
Concevoir des projets de qualité suppose de nombreuses itérations entre partenaires et prend du temps, a fortiori quand on tient une telle ambition et qu’on ne souhaite pas réitérer les erreurs passées.
La politique de la ville a démultiplié ses dispositifs depuis plusieurs décennies… Nous en connaissons les limites qui sont d’ailleurs bien au fondement de ce programme de renouvellement urbain. Si nous voulons que ces projets permettent à ces quartiers de réintégrer la cité, si nous voulons que ces évolutions soient pérennes, il est fondamental de s’attarder sur les conditions de faisabilité opérationnelle tout en gardant en ligne de mire les destinataires de l’action publique : les habitants.
Il est sain de sécuriser en amont ces projets, en associant toutes les parties prenantes, et de chercher à garantir le plus possible l’atterrissage opérationnel, notamment sur des questions de diversification, tant de l’habitat que de programmes économiques. Tout cela prend du temps… tout cela se fait en marchant, car le sujet est complexe et que les partenaires eux-mêmes se forment à ces questions chemin faisant. La précipitation serait sans doute la pire des choses au moment où les projets sont en passe d’être bientôt finalisés mais nécessitent encore des arbitrages et des ajustements. Quelques mois encore… Par rapport à 40 ans de politique de la ville aux effets limités, ces quartiers ne méritent-ils pas davantage qu’un bouclage ficelé dans la précipitation ?
Ville en Oeuvre